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Alexandre Mazzia (AM) : Un panier à 3 étoiles

Né à Pointe-Noire au Congo, Alexandre Mazzia a commencé sa carrière comme Pro de basket. En parallèle, il se forme au métier de cuisinier auprès de stars des fourneaux et côtoie Pierre Hermé chez Fauchon, Martin Berasategui en Espagne, Michel Bras, Alain Passard. En 2010, il passe du panier à 3 points à celui de Marseille. Il ouvre « AM par Alexandre Mazzia » en 2014. 1 étoile en 2015, 2 en 2019 et 3 en 2022. Un bon début de match. Interview.

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Quelle est votre épice préférée ? 

Le cumin.

Pourquoi avoir choisi Marseille ?

Pour la chaleur humaine et la lumière.

Comment définissez-vous le concept de « Nourrir » ?

Pour moi, c’est d’abord la curiosité ; nourrir son esprit ; nourrir son chemin ; son savoir ; ses compétences. Cet acte anodin va bien au-delà de la simple raison de vivre et du sens primaire évoqué par le verbe. Bien au-delà de la satiété. En cuisine, nous sommes une passerelle. Nous avons la chance d’être intemporels, ce qui nous permet d’offrir une transition entre l’émotionnel, la nutrition et le voyage. Ma volonté consiste à donner le meilleur de ce que nous sommes au travers d’une expression. Je suis un passeur. 

Comment avez-vous combiné le basket et la cuisine ?

J’ai eu la chance de trouver de nombreux compromis avec les chefs et les seconds pour les jours de match. Dans les deux cas, j’ai pu développer ma pugnacité, mon côté volontaire et l’envie de toujours donner le meilleur.

« Je suis un passeur »

A ce sujet, vous semblez trouver de l’excellence partout ?

Absolument : dans le regard et la compréhension ; dans l’excellence intellectuelle ; celle du savoir. Venant d’Afrique, j’ai toujours beaucoup à découvrir. Mon grand-père m’a appris l’excellence de la vie, des mots, des choses simples. Celle des expériences que les jeunes ne comprennent pas : l’excellence du geste, de la précision. Au bout d’un certain temps, cela devient une façon de vivre, une évidence. C’est sans doute pour cela que j’adore Miró. J’y retrouve la puissance de l’essentiel atteinte après des décennies de travail acharné. Une forme de clé du bonheur. Une porte pour mieux se connaître. Je fais partie des vieux croulants : je me réalise dans le travail ; il nourrit mon esprit. Je m’imprègne de rencontres. Cela permet de vivre, de voyager, de rester curieux. J’ai besoin de rester actif. 

Cette excellence est-elle à la portée de tout le monde ?

Il faut vouloir se connaître. Quand les gens qui vous entourent vous acceptent, vous disposez d’un salut. Je pense que la seule limite se trouve dans la capacité de compréhension et dans ce que ça coûte. Si vous ne trouvez pas cela naturel, je pense que la tâche devient difficile. Je le dis souvent : « Il n’y a pas deux poids, deux mesures ». Vous devez exprimer des sentiments ; éviter de subir la contrainte du regard des autres. Nous sommes dépendants de l’excellence des produits, mais aussi de l’énergie. Nous devons savoir observer ; capter les besoins des gens ; utiliser l’instinctivité ; générer du bonheur. A titre personnel, j’ai la chance d’avoir vécu des émotions avec mon grand-père. Il ne faut pas oublier les gens qui vous ont marqués. Il était pêcheur. Son protocole sur sa planche à découper était incroyable : supérieur à celui de certains maîtres japonais que j’ai rencontré par la suite. Taiseux, il ne disait jamais rien, mais quand il parlait il fallait écouter. 

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« Les curieux insistent ; les autres abandonnent : le paradoxe de l’excellence. »

Un de vos employé a récemment évoqué l’importance de « L’harmonie du voyage ».

C’est vrai que notre équipe aspire à déclencher des voyages intérieurs. Nous voulons permettre à nos invités d’entrer dans un monde simple. Or pour atteindre ce résultat, nous utilisons la « simplexité » : une capacité à dépasser la complexité pour restituer une expression pure. Le piège, c’est que la plupart des gens cherchent des points d’ancrage. Ici, tu manges, tu vis l’instant. Tu retiens l’émotion du monde. Elle fait partie du voyage intérieur qu’ils auront partagé : l’excellence du moment. Nos outils prennent la forme d’épices, de torréfaction, de fumé, de poissons fraîchement pêchés. Une aubergine confite ou une pastèque brûlée peuvent rappeler une scène en famille, une promenade ou une réflexion. Il s’agit souvent d’une démarche autarcique ; parfois d’un souvenir commun. Nous avons besoins de codes, de savoir à quels repères nous appartenons. Mon équipé crée des clivages intellectuels et culinaires. Les convivent se trouvent souvent destabilisés par le lieu, la cuisine, les produits. Souvent ils s’avèrent incapables de décrire ce qu’ils vivent ici. Les curieux insistent ; les autres abandonnent : le paradoxe de l’excellence. Je suis dans mon monde où je dispose d’un lieu et d’une façon de m’exprimer qui est personnelle. Je fournis des clés. J’ouvre des portes. 

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Ce voyage intime peut-il devenir international ?

La planète avance trop vite. Le Covid a remis de l’huile sur le feu. Nous sommes dans une course effrénée ; utopique. Nous aurions pu profiter de ce ralentissement pour renouer avec des filières perdues, mais certains ont profité du système ; d’autres ont voulu rattraper le retard. Tout est abusif : la fissure sociale, la perte d’une forme de milieu. Dans les villes, cette déchirure devient énorme. Elle crée de la défiance entre les habitants; un malaise ; une fébrilité émotionnelle. Le lien social se distend. Chez « AM », nous considérons nos fournisseurs comme des joailliers de notre territoire. Nous ne discutons pas les prix. C’est la même chose avec les employés. Une fois le contrat signé, nous ne parlons que d’excellence. Si un pêcheur a besoin d’un nouveau bateau, nous l’aidons dans la mesure du possible, car ma définition d’un cadre n'a rien à voir avec une forme d’autorité. Un bon leader prend soin des autres. Et lorsque tout fonctionne bien, l’équipe fait confiance à mon jugement. Nous n’avons pas à gérer des caprices : ceci nous permet d’investir toute notre énergie dans l’écriture de notre propre histoire, à travers une musique, une lumière, une couleur ou une texture. Je tisse autour de ça. Une fois que je l’ai fait, c’est fait. Je veux juste que nos visiteurs en aient pour leur argent.

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