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Denis Van den Bulke (Vandenbulke) : Quand le droit rencontre l'anthropologie, le langage et la responsabilité sociale

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Denis Van den Bulke, associé fondateur du cabinet d'avocats luxembourgeois VANDENBULKE, nous expose comment sa formation en anthropologie l'aide à mieux comprendre des protagonistes issus d’horizons culturels différents, concilier leurs antagonismes apparents, inspirer un modèle d’organisation professionnelle adapté aux nouvelles exigences temporelles individuelles tout en revendiquant que dans la profession le « fonds l’emporte sur la forme ».

 

En plus de votre formation en économie et en droit, vous possédez une maîtrise en anthropologie sociale et culturelle. En quoi cela a-t-il influencé votre carrière juridique ?

 

L'anthropologie vous apprend le "relativisme social", c'est-à-dire à comprendre les autres, individus ou sociétés, non pas au travers de votre perception personnelle, mais par le biais de leurs propres valeurs et symboles culturels. Elle vous oblige à examiner la rationalité et le bien-fondé de toutes les règles sociales d'une organisation et à déceler qu'aucune de ces normes n'est inappropriée ou inutile ;elles visent plutôt à promouvoir des relations harmonieuses et stables au sein d'une communauté. L’assimilation de cette prémisse renforce vos facultés d'analyse et constitue une aide quotidienne dans la profession juridique lorsque vous créez une joint-venture ou que vous négociez un pacte d'actionnaires et vérifiez si l'équilibre des intérêts respectifs des parties se trouve efficace, fondé et rationnel.

 

L’avocat est par définition amené à jouer un rôle d’intermédiaire et de conciliateur. A ce titre, lors d'une négociation, il travaille au rapprochement de parties n’ayant pas les mêmes valeurs ni les mêmes principes de référence, conduisant à des raisonnements souvent contradictoires. En appréhendant la position et l’attente de son client et la structure sociale et culturelle de chaque protagoniste, l’avocat peut parvenir plus aisément à proposer un consensus et à détecter les points de rupture potentiels d’un accord. Chaque jour, nous nous confrontons à des cultures diverses dans des langues différentes, et il arrive que des malentendus naissent d’une confusion culturelle alors que les parties partagent en réalité la même opinion. Ainsi, ma formation en anthropologie m'aide à identifier l'origine et les causes d'une mauvaise communication, à disséquer les comportements en affaires ou les attitudes sociales, et en les réconciliant à conclure des accords avec succès.

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"L’avocat est par définition amené à jouer un rôle d’intermédiaire et de conciliateur. A ce titre, lors d'une négociation, il travaille au rapprochement de parties n’ayant pas les mêmes valeurs ni les mêmes principes de référence, conduisant à des raisonnements souvent contradictoires." 

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Comment cela a-t-il influencé l'organisation et l'approche de votre cabinet sur le marché juridique ?

 

J'ai pu tirer de mon expérience divers principes fondamentaux d'organisation sociale permettant d’encadrer efficacement les groupes, de les rendre plus stables, de réduire les conflits internes et de créer des relations sociales mieux équilibrées. En créant le cabinet, j'ai opté pour une gestion horizontale plutôt que verticale, j'ai encouragé le travail en pôles de compétences et j'ai favorisé l'osmose et l'interaction entre les domaines complémentaires de la finance, de l'entreprise et de la fiscalité. Dans les structures traditionnelles qui appliquent des principes d’organisation quasi tayloristes les avocats opèrent dans des départements hermétiques, ne partagent pas assez leur expertise et laissent ainsi passer l’occasion d'apprendre les uns des autres.

 

Le Luxembourg constitue un centre éminemment multiculturel où évoluent des avocats venus de tous les continents. Le succès d'une équipe dépend de votre capacité à gérer des approches différentes sur un même plateau. Par exemple, certaines cultures - généralement germaniques - sont dites monochroniques et préfèrent ne faire qu’une seule tâche à la fois, tandis que les cultures dites polychroniques - typiquement latines – sont capables de jongler avec plusieurs tâches à la fois. Si cette perception vous fait défaut, vous parviendrez difficilement à faire travailler ensemble un avocat allemand et un avocat italien.

 

Le pays compte également trois sources linguistiques distinctes : le français, l'allemand et le luxembourgeois. Vous devez prendre conscience que si un confrère a été éduqué dans une autre langue, cela se traduit non seulement par des compétences linguistiques différentes mais aussi par des visions du monde très dissemblables, car chaque langue véhicule et structure elle-même une perception particulière de notre environnement et influence nos attitudes. Dans un tel environnement de travail, l’assouplissement des règles d'organisation s’impose, tout comme leur adaptation à chaque profil culturel. Nous gardons la conviction que la qualité d'un cabinet ne se mesure pas à son nombre d'avocats mais à la valeur de l'interaction entre eux.

 

Quel impact sur la profession peut avoir l'évolution de la société au Luxembourg, en Europe et dans le monde ? 

 

Une partie essentielle du rôle d'un cabinet d'avocats réside dans le traitement et la communication de l'information, un domaine marqué par une véritable révolution culturelle et technologique. Autrefois, interagir avec les clients signifiait se déplacer pour les rencontrer, rédiger des courriers ou envoyer des télécopies. Les clôtures de dossiers exigeaient votre présence physique. Le rythme temporel était plus lent et linéaire ; et les échéances n’imposaient pas l’actuelle frénésie à la vie professionnelle. L'information manquait d’accessibilité et « une bonne bibliothèque » tenait le rôle d’outil de recherche principal. La numérisation, le courrier électronique, l'internet et l'accès instantané aux données ont accéléré notre rythme de travail et standardisé une grande partie de l'activité des avocats. Trop de cabinets se contentent encore de jouer le rôle de « rotative à contrats-types » ou de dupliquer des deals à l’envi, recrutant massivement de jeunes collaborateurs pour se concentrer essentiellement sur l'accumulation d'heures facturables.

 

Les êtres humains n'ont pas fondamentalement changé et les clients recherchent toujours une interaction personnelle étroite avec leur conseil. Cependant, l'accélération des rythmes va à l'encontre de l'essence même de notre profession qui exige du temps pour la réflexion, la pensée et l'analyse. Notre cabinet préconise une méthode différente : la spécialisation et le rapprochement des compétences pour fournir un conseil holistique, dont la rémunération devrait dépendre de la complexité du dossier et de la qualité exigée, et non de la seule horloge égrenant les heures prestées. Enfin, il n’échappe à personne que dans les médias mondiaux d'aujourd'hui, l'image prévaut sur le contenu, voué à s'appauvrir et à devenir de plus en plus futile. Le temps est venu de redonner de la substance et de l'analyse au débat public. Avec sa maîtrise de la logique et du langage, la profession juridique se voit ainsi confrontée à une responsabilité sociale nouvelle et stimulante.

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