Jean Diederich (APSI) : Impacts des sanctions et évolutions des paiements
Selon Jean Diederich, Partner AZZANA Consulting, président de l’APSI et membre de Digital Europe : « en déconnectant les banques russes de SWIFT, la Russie changera de canaux de paiements, ce qui risque d’affaiblir l’influence des institutions américaines et européennes et occasionnera un risque de la création de deux systèmes distincts pour limiter les sanctions dans le futur ». Interview.
Quel est l’impact des sanctions sur les systèmes de paiements et plus particulièrement SWIFT ?
Déconnecter la Russie de SWIFT impacte les entreprises et les institutions financières des deux côtés. Toutefois, les impacts des sanctions par rapport à la notion de débit et crédit doivent être différenciés. Naturellement les sanctions prononcées visent à bloquer les avoirs russes dans les banques, mais beaucoup d’institutions financière ont aussi financé des entreprises russes et accordé d’immenses crédits. Cela veut dire que des sanctions strictes, ou une déconnexion générale de SWIFT entraîneraient des difficultés, voire le risque d’un défaut pour certaines banques européennes, dont l'encours des prêts russes s'élevait à plus de 76 milliards de dollars à la fin de 2021. De plus, l'impact à court terme de ces sanctions vers la Russie est limité par le fait qu'elles n'ont pas d'incidence sur les transactions de paiements dans le secteur énergétique russe, une force vitale de la Russie, dont l’Europe dépend largement. Par conséquent, des paiements libellés en euros et en dollars continuent à circuler vers la Russie, qui a même demandé des paiements en roubles pour contrer les sanctions prononcées, ayant pour but d’augmenter la demande en devise roubles, pour faire remonter son cours.
« Une déconnexion générale de SWIFT entraîneraient des difficultés, voire le risque d’un défaut pour certaines banques européennes »
Est-ce que les systèmes de paiements internationaux peuvent changer fondamentalement?
Il y a un risque car les sanctions sont susceptibles de modifier fondamentalement la géopolitique des paiements transfrontaliers. Depuis 2014, la Russie s'est préparée aux sanctions internationales en établissant sa propre infrastructure de paiement, le système de transfert de messages financiers SPFS russe. Pékin est aussi sur le point d'accélérer considérablement les efforts visant à la mise en place de nouveaux canaux de paiements à travers le China National Advanced Payment System (CNAPS) qui est libellé en renminbi et dirigé par la Chine dans toute l'Asie, y compris en Russie. En sachant que plus de 50 % des exportations chinoises vers la Russie étaient libellées en dollars en 2020, tandis que les deux tiers des exportations russes vers la Chine étaient libellées en euros, et la plupart des autres étaient libellées en dollars, on comprend le manque à gagner pour nos banques. Donc, en déconnectant les banques russes de SWIFT, le commerce entre la Russie et son principal partenaire commercial, la Chine, va changer de canaux de paiements, le renminbi sera probablement choisi comme nouvelle devise pivot. Par conséquent, ceci va peu à peu affaiblir l’influence des institutions américaines et européennes dans ces régions et occasionnera un risque de la création de deux systèmes distincts pour limiter les sanctions dans le futur. La question qui se pose alors : l’interopérabilité sera-t-elle garantie avec les systèmes actuels ?
Est-il possible que la Russie passe par les crypto-monnaies pour contourner les sanctions ?
En effet certains pensent que la Russie utilise aussi les crypto-monnaies pour contourner les sanctions. Vladimir Poutine avait laissé entendre que la Russie avait certains avantages concurrentiels sur ce point, en particulier dans le mining (dépendant du prix de l'électricité) des transactions ainsi que des experts informatiques en crypto-monnaies. Mais comme la Chine a banni les crypto-monnaies, Pékin va probablement accélérer le déploiement de sa « central bank digital currency » (CBDC) pour les contrer et forcer la Russie à l’adopter à la place des dollars ou des euros pour ses échanges transfrontaliers.