Philippe Seyll and Olivier Portenseigne (Clearstream Fund Services Luxembourg): La blockchain ou l'avenir des fonds d'investissement
« S’impliquer pleinement dans la transformation numérique de la distribution des fonds est impératif si vous voulez que votre entreprise ait un avenir », déclarent Philippe Seyll (CEO de Clearstream Fund Services) et Olivier Portenseigne (CEO de FundsDLT S.A). Entretien.
Pourquoi Deutsche Börse a-t-elle acquis FundsDLT ?
Philippe Seyll (P. S.) : Nous sommes convaincus que le développement des registres distribués est bénéfique dans notre écosystème de fonds, une conviction ayant grandement motivé cette acquisition. Ces dernières années, Clearstream s’est forgé une longue chaîne de valeur plaçant les gestionnaires d’actifs d’un côté et les distributeurs de l’autre. Pour notre part, nous sommes à l’intersection des deux. Nous aidons les gestionnaires d’actifs à lever des fonds et les distributeurs à se mettre en relation avec ces mêmes gestionnaires d’actifs. Actuellement, l’émission des parts de fonds se fait par l’intermédiaire d’agents de transferts tenant les registres. La technologie de FundsDLT permet de réaliser les émissions autrement, grâce à la blockchain et la tokenisation.
Olivier Portenseigne (O. P.) : Cela présente 4 grands avantages. Premièrement, le processus entre les gestionnaires d’actifs et les distributeurs devient fluide parce qu’ils s’appuient sur la même infrastructure, avec la réduction des coûts qui s’ensuit. Deuxièmement, les intermédiaires ont accès aux données relatives aux clients finaux. Ils peuvent ainsi améliorer la pertinence des produits qu’ils élaborent et personnaliser l’expérience client. Troisièmement, des opportunités émergent grâce à la tokenisation des fonds (le fait pour une part de fonds d’avoir une jumelle numérique sur la blockchain) permettant aux gestionnaires d’actifs de percer dans de nouveaux segments de distribution numériques comme les plateformes d’échange de cryptomonnaies (Exchange) ou les banques en ligne consommatrices de tokens. Il s’agit de l’avenir de la distribution selon nombre de gestionnaires d’actifs. Enfin, quatrièmement, au-delà de la blockchain, nous co-créons avec nos clients une meilleure expérience utilisateur : 100 % numérique dès l’ouverture de compte, conforme à la directive MiFID, avec souscription en ligne, etc.
"Mettre les fonds d'investissement à la disposition de tous, partout, pour moins cher, et en simplifiant la distribution."
Quelles technologies transforment la finance, et comment vous adaptez-vous ?
P. S. : En premier lieu, l’intelligence artificielle (IA) et le Machine Learning (ML). Clearstream a commencé à y avoir recours pour aider les équipes en relation directe avec les clients à répondre à leurs questions – une illustration tangible du rôle des nouvelles technologies dans l’amélioration de l’efficacité de notre entreprise et de nos services clients. Nous avons également recours à l’IA et au ML dans nos processus KYC (Know Your Customer). Comme nous devons connaître non seulement nos clients, mais aussi l’objet de chaque transaction, et que nous traitons 500 millions de transactions par an, l’IA et le ML nous apportent une aide précieuse pour vérifier des volumes substantiels de données. Ensuite, je pense aux registres distribués (DLT), dont l’impact sur l’émission de parts et la distribution des fonds pourrait provoquer un changement de paradigme. Grâce à elle, nos clients ont accès à une nouvelle génération d’infrastructures pour 10 % du prix d’une infrastructure physique.
O. P. : Quant à l’utilisation du Cloud, FundsDLT gère actuellement 21 data centres. Nous développons notre infrastructure comme un code et installons nos data centres à proximité de nos clients pour réduire la latence et favoriser la croissance de notre réseau blockchain. Les fonds du marché monétaire font de très bons candidats à la tokenisation. Nous en avons d’ailleurs fait l’expérience avec l’un de nos clients en France dont les acheteurs peuvent désormais acheter et vendre en temps réel, ou presque, grâce à la blockchain, alors que ces processus prenaient plusieurs heures auparavant. Selon nous, la numérisation des liquidités par les banques commerciales ou les banques centrales constitue la prochaine étape. Avec l’arrivée des devises numériques dans les banques centrales, quelques millisecondes suffiront pour procéder aux règlements.
Quels risques et quelles opportunités identifiez-vous ?
P. S. : Concernant l’activité de Clearstream Fund Services, la principale opportunité réside dans la réduction des délais de commercialisation des produits lesquels pourront être lancés de manière quasi instantanée, alors qu’il y a 30 ans, cela aurait pris plusieurs mois. Les marchés financiers n’en seront que plus agiles. Côté risque, je pense que de nombreux intermédiaires sont amenés à disparaître. Clearstream doit donc activement prendre part à la numérisation des marchés. L’acquisition de FundsDLT a été décidée dans cette optique.
O. P. : Notre mission est simple : mettre les fonds d’investissement à la disposition de tous, partout, pour moins cher, et en en simplifiant la distribution. Le principal risque réside dans le taux d’adoption, comme pour toute technologie et tout modèle économique. Nous investissons par conséquent de manière considérable pour faciliter et raccourcir cette phase d’adoption, mais il s’agit d’une transformation de long terme. Auparavant, les fonds étaient « vendus », mais demain, ils seront « achetés ». Lorsque les fonds auront été numérisés, il sera possible d’automatiser l’ensemble des processus opérationnels, et d’investir dans un fonds depuis un iPhone. Grâce à une infrastructure estampillée FundsDLT, les utilisateurs d’Azimut peuvent d’ores et déjà acheter certains produits par l’intermédiaire d’une application. Le montant des transactions que nous avons traitées pour nos clients se compte en milliards et l’objectif de notre fusion avec Clearstream consiste à accroître ce chiffre.
P. S. : Cet objectif peut paraître ambitieux. Pour autant, la croissance des actifs privés s’accélère ; une tendance dont les gestionnaires d’actifs pourraient se saisir pour commercialiser des actifs illiquides en ciblant davantage les investisseurs particuliers. Autrement dit, rendre ces produits d’investissement plus accessibles au grand public tout en générant davantage de liquidité par l’intermédiaire d’un marché secondaire. Aussi nos services devraient-ils notamment attirer les ELTIF (European Long Term Investment Funds).
"Auparavant, les fonds étaient "vendus". Avec notre technologie, ils seront "achetés"."