
Jean-Claude Hollerich (Cardinal, Archevêque du Luxembourg) : Dialogue, foi et renouveau dans une société en mutation
Jean-Claude Hollerich, cardinal depuis 2019 et archevêque de Luxembourg depuis 2011, évoque les mutations de l’Église luxembourgeoise, ses liens historiques avec Rome et les défis contemporains.
Comment s’explique la relation privilégiée entre le Luxembourg et le Saint-Siège ?
L’histoire ecclésiastique du Luxembourg s’ancre dans une structure unique : absence de province ecclésiastique, lien direct avec Rome. Ce lien direct offre une proximité rare avec le Saint-Siège, renforcée par la reconnaissance formelle de l’indépendance ecclésiale luxembourgeoise par ce dernier. Historiquement, le territoire dépendait de diocèses étrangers, de Namur à Metz, avant d’obtenir son autonomie. Ce positionnement singulier alimente un dialogue constant entre le gouvernement et le Vatican. Ces échanges dépassent les clivages politiques, comme en témoignent les relations suivies avec des ministres étrangers au CSV. Le Saint-Siège partage avec le Luxembourg une même volonté de promouvoir le multilatéralisme et les droits de l’homme. Cette relation s’est concrétisée par la visite du Pape en octobre dernier. La monarchie luxembourgeoise a également contribué à ancrer le catholicisme : un contrat de mariage stipulait que les filles seraient catholiques, les fils protestants – Guillaume IV n’ayant eu que des filles, la monarchie a basculé vers le catholicisme. Cette continuité entre histoire politique et religieuse explique la profondeur des liens actuels.
"Le renouveau religieux prend forme à travers une foi choisie, non plus héritée"

Quel impact la modernité a-t-elle eu sur la vie religieuse au Luxembourg ?
La sécularisation se manifeste dans les chiffres : baisse des baptêmes, recul des pratiquants. Mais ces données méritent nuance. De nombreuses familles, notamment portugaises, célèbrent les sacrements à l’étranger. Les statistiques omettent donc une part significative de la réalité. De plus, beaucoup de baptisés ne vivent pas leur foi, tandis que d’autres, non comptabilisés, pratiquent activement. Ce double mouvement brouille la perception du catholicisme au Luxembourg. Dans certaines paroisses, la pratique s’efface, mais ailleurs, elle explose : les communautés anglophones, lusophones ou polonaises remplissent les églises. La messe anglophone à Bel Air affiche complet chaque dimanche. Cette vitalité prouve que la foi trouve de nouvelles formes d’expression. La séparation de l’Église et de l’État, avec la fin de la dotation publique, a réorganisé les finances de l’archevêché. Le mythe d’une Église riche ne résiste pas aux chiffres : déficits croissants, recours aux revenus immobiliers pour assurer les salaires, publication annuelle des comptes. Cette transparence vise à rompre avec les fantasmes hérités d’une époque où l’influence de l’Église, notamment via le CSV ou les médias, était bien plus forte.
Comment envisager l’avenir de la foi et de la place de l’Église dans une société pluraliste ?
Le renouveau religieux prend forme à travers une foi choisie, non plus héritée. Les jeunes adultes, souvent issus de milieux divers, redécouvrent une spiritualité libre, consciente et engageante. Ce phénomène rappelle les débuts du christianisme. En parallèle, une inquiétude grandit sur la neutralité réelle de l’État. Des jeunes catholiques témoignent de moqueries subies à l’école. Le déficit de culture religieuse devient criant. À l’Octave, beaucoup d’élèves ignorent qui est Marie. Cette méconnaissance appauvrit la compréhension de l’art, de la littérature ou de la musique européenne. Le rôle de l’Église dépasse donc le seul cadre spirituel. Elle participe à l’intégration sociale dans un pays où la population a doublé en cinquante-cinq ans. Pourtant, certains continuent d’associer l’archevêque à une toute-puissance dépassée. La gouvernance actuelle repose sur des équilibres et des responsabilités partagées. Redonner au débat public son exigence de respect mutuel et d’écoute véritable devient essentiel pour préserver la démocratie. Dans ce contexte, la foi demeure un repère et un ferment de dialogue.
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