Christophe Pessault (MEBS): Gestion des risques – exigences accrues
Selon Christophe Pessault, spécialiste de la gestion des risques et membre du comité exécutif de MEBS, «les trois dernières années ont vraiment transformé l'approche du risque pour les sociétés de gestion luxembourgeoises». Interview.
Comment évoluent les problématiques de risque dans les fonds d'investissement?
Nous avons vu peu de changements réglementaires entre 2011 et 2018, c'est-à-dire depuis la mise en œuvre de la circulaire 11/512 et de la directive AIFM. La circulaire 18/698 émise en 2018 a été une première accélération en imposant des exigences accrues en matière de gestion des risques. Cependant, c'est la publication de deux nouvelles circulaires concernant la gestion du risque de liquidité en 2019 et 2020 qui a changé la donne en proposant aux sociétés de gestion un certain défi. La circulaire 20/752 publiée en 2020 porte sur les simulations de crises de liquidité. Elle a été initiée par l'ESMA avec une échéance de mise en œuvre fixée au 30 septembre 2020. Le Luxembourg a fait le choix d'aller plus loin en publiant la circulaire 19/733 en 2019. Celle-ci, s'appuyant sur les recommandations non contraignantes de l'OICV, couvre la gestion du risque de liquidité dans son ensemble, c'est-à-dire depuis la phase de conception du fonds jusqu'aux plans de contingence à mettre en œuvre en cas de problème de liquidité. Cette circulaire impose également de tester régulièrement ces plans, à l’instar du BCP (Business Continuity Plan, ndlr) et du DRP (Disaster Recovery Plan, ndlr) pour l'IT.
Signe de la surveillance accrue des régulateurs sur ce sujet, il est à noter que l'ESMA a lancé en 2020 une action de surveillance commune sur la gestion du risque de liquidité. Cette action, qui cible les gestionnaires de fonds OPCVM, a donné lieu à l'émission de deux questionnaires, le premier en février 2020 et le deuxième en juillet 2020. Au Luxembourg, 155 sociétés de gestion ont rempli le premier questionnaire et 51 ont rempli le deuxième. En 2021, les résultats ont été publiés. À cet égard, la CSSF demande aux sociétés gérant des fonds OPCVM de procéder à une auto-évaluation de leur processus de gestion du risque de liquidité au regard des conclusions émises et, bien entendu, du cadre réglementaire en vigueur avant le 31 décembre 2021.
«Théoriquement, la machine peut tout faire, mais l'humain doit rester au cœur du processus»
Comment les sociétés de gestion s'adaptent-elles à ces nouvelles exigences?
La clé du problème réside, comme souvent en matière de gestion des risques, dans les données, qu'elles soient disponibles ou de bonne qualité, et dans les modèles utilisés. Si cette remarque est valable dans de nombreux domaines relatifs à la gestion des risques, je pense qu'elle est particulièrement vraie dans le domaine de la gestion du risque de liquidité. En effet, pour certaines classes d'actifs – comme les actions – nous disposons de données et d'un consensus relatif sur la manière de déterminer la liquidité réelle du titre. Pour d'autres – les obligations par exemple – il est beaucoup plus difficile d'obtenir certaines données, comme des volumes d'échanges ou des spreads fiables. Cependant, avec MiFID II et d'autres initiatives, nous avons commencé à accéder à des données concernant les volumes de transactions, même si cela reste partiel. Pour ces types d'actifs, les sociétés de gestion utilisent souvent des modèles de scoring de liquidité, basés sur des critères tels que la notation de crédit, la maturité ou la duration entre autres. La question se pose alors de l'objectivité ou de la subjectivité de l'évaluation des différents critères ainsi que de l'objectivité et de la subjectivité de la clé de conversion entre le score de liquidité et le temps de liquidation de l'instrument. Enfin, se pose la question de la construction des scénarios de crise et de leur interprétation. Or, dans la réglementation, les responsabilités de contrôler la qualité des données sous-jacentes aux modèles et de valider le modèle lui-même incombent à la société de gestion, ce qui crée de nouveaux risques pour les dirigeants des sociétés de gestion.
Quelles tendances voyez-vous se profiler dans les mois à venir?
Je pense que deux sujets resteront en tête de l'agenda: la digitalisation comme support et aide, et, donc, le rôle des machines dans le pilotage des modèles. Théoriquement, la machine peut tout faire, mais l'humain doit rester au cœur du processus. Ce n'est pas «la personne contre la machine», mais plutôt «la personne avec la machine». On peut comparer cela avec un constructeur de voitures électriques bien connu: théoriquement, sa voiture peut aller de A à B toute seule, mais en réalité, le conducteur doit garder les mains sur le volant. Même l'apprentissage automatique n'a pas encore la maturité nécessaire pour s'intégrer de manière autonome dans les processus quotidiens, du moins à un coût abordable. Il est à noter que la CSSF accorde une grande importance à un modèle de gouvernance définissant les limites, les alertes et le traitement de ces alertes de manière efficace et documentée et dans laquelle l'humain a bien sur toute sa place. La deuxième tendance que j'ai identifiée se concentre sur le suivi des risques de durabilité au sens large. Par exemple, comment évaluer le risque d'une entreprise avec une ou plusieurs usines situées dans une zone qui pourrait être inondée dans les trois prochaines années en raison du réchauffement climatique? Ou celle d'une entreprise fabriquant des produits au mépris des règles ESG actuelles? Avec le Covid-19, les managers ont également pu mesurer pleinement l'impact des risques concernant la chaîne d'approvisionnement et leurs conséquences économiques, qu'elles soient positives ou négatives. Sur ces questions, on s'oriente vers le recours à des systèmes de notation comme ceux utilisés pour le risque de crédit. Alors que les notations des agences les plus connues convergent à 99% concernant l'évaluation du risque de crédit, une étude récente du MIT montre qu'elles convergent en réalité à moins de 60% en moyenne sur les questions de durabilité selon les données et les modèles utilisés. Ces questions représentent donc des défis très intéressants pour la profession