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Nasir Zubairi (LHoFT) :  Mener le changement

Une discussion avec Nasir Zubairi, implique toujours une analyse pointilleuse des écosystèmes numériques, bancaires et entrepreneuriaux au Luxembourg et dans le monde entier. Selon le CEO du LHoFT, récemment rentré d’un tour en Asie, le système bancaire européen se trouve au bord de la crise et le vieux continent risque de voir l’écart, en matière d’innovation, se creuser d’avantage avec les USA et l’Asie. Interview sans concession.


Comment les services financiers évoluent-ils ?

L'industrie progresse encore trop lentement, et se voit d’autant plus affectée par le climat de récession en Europe. La réglementation protège les clients, par exemple contre les ventes abusives, et combat la criminalité financière, y compris le blanchiment d'argent

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Le problème, c’est la vitesse à laquelle les nouvelles règles sont mises en œuvre, et la difficulté pour les banques de s'y adapter : elles ont besoin de temps afin d’ajuster leurs infrastructures. Selon les données officielles de 2016, 13 % à 15 % des frais généraux des institutions financières européennes ont été dédiés aux exigences de mise en conformité réglementaire. Mais selon de récentes estimations, ce ratio se situe à au moins 30 %. 40% des établissements luxembourgeois se reposent toujours sur des procédures manuelles de reporting réglementaire, représentant un coût énorme.

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«  Mon désir reste de travailler davantage avec les collectivités et d'améliorer, d'élargir, d'expliquer et d'adapter les nouvelles technologies au profit de l'industrie financière. »

 

Le rendement des capitaux propres reste-t-il satisfaisant ?

Avant la crise financière, le taux de rendement des capitaux propres des banques se situait entre 15 % et 20 %. Il descend aujourd'hui autour de 6 % en Europe occidentale, 9 à 12 % aux Etats-Unis, et 15 % en Asie. Il existe un cercle vicieux. En raison de la dégradation des performances, les banques veulent réduire rapidement leurs coûts, et choisissent de compresser le budget technologique. Pourtant, l'innovation demeure le seul moyen durable d'améliorer l’efficacité ; il ne suffit pas de réduire les effectifs. L’incapacité à se saisir de la technologie constitue le plus grand danger pour le secteur financier - un risque systémique. De nombreuses institutions sont extrêmement médiocres en matière de cybersécurité et se battent pour attirer les meilleurs talents technologiques. Un professeur de mon ancienne université, la London School of Economics, en convenait récemment avec moi : à mon époque, la plupart des diplômés voulaient travailler en banque, mais aujourd'hui, ils préfèrent entrer dans des entreprises technologiques. Les jeunes banques de second rang font face, elles aussi, à un long chemin à parcourir. À l'heure actuelle, nous cherchons des solutions pour aider les institutions bancaires à survivre. A mon avis, des établissements européens feront faillite au cours des deux ou trois prochaines années.


L’innovation se développe-t-elle à un bon rythme ?

L’innovation progresse déjà incroyablement vite, et continue d'accélérer au fur et à mesure que l'innovation se nourrit d'elle-même. Par exemple, l'informatique quantique était considéré, il y a quelques années, comme une chimère. Mais l'intelligence artificielle, et plus particulièrement l'apprentissage automatique, conduit aujourd’hui des cycles très rapides de tests et perfectionnements - les machines se construisent véritablement par elles-mêmes ! La technologie est connue, et notre capacité à la mettre en œuvre s'accélère, mais pas dans le secteur des services financiers. Nous prenons du retard, je le crains, par rapport aux États-Unis et à l'Asie, en particulier la Chine. Il faut y voir l’effet du facteur culturel. L'Europe se sent fière de son passé et du savoir-faire développé au fil des siècles, mais c’est de l’histoire ancienne. Cela nous a permis d'apprendre et de devenir nous-même, mais regarder en arrière demeure le moyen le plus sûr de passer à côté de l'avenir. La supériorité intellectuelle des Européens, je le crains, leur donne l’illusion de n’avoir plus rien à apprendre. Les Chinois sont devenus le leader mondial de l'innovation en ouvrant leurs portes vers l'Occident il y a 20 ans, permettant aux gens d'étudier à l'étranger et de ramener leurs connaissances. Regardez où ils se situent maintenant ! Le Japon a fait de même dans le passé. Pourquoi compte-t-on seulement 3.000 étudiants européens en Chine chaque année, quand 100.000 Chinois viennent étudier en Europe ? Un nombre croissant de personnes apprennent le chinois au Luxembourg, mais cela reste marginal - on attend toujours de nos hôtes le basculement vers notre langue. Je reviens tout juste de Hong Kong, Shenzhen et Singapour, et la taille des bureaux de Tencent, Baidu et Ping An est à couper le souffle ! Faire la visite des centres d’innovation reste une expérience éclairante.

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Voyez-vous l'informatique quantique comme une menace ?

L'informatique quantique reste, dans ses principaux aspects, une énorme opportunité pour l’espèce humaine. Revers de la médaille, les pirates informatiques peuvent eux aussi y accéder et en tirer avantage. Par exemple, selon une idée répandue, les technologies de registres distribués ( Distributed Ledger Technology -DLT) - blockchain – gagnent en popularité et ne peuvent être piratées en raison de leur modèle consensuel et de l'utilisation de la sécurité cryptographique. On n’a jamais mis sur le marché un dispositif de sécurité en prévoyant son piratage, mais ils ont tous fini par le subir. L'informatique quantique peut permettre aux hackers d’attaquer une blockchain par "force brute", et de parvenir à s’y introduire.

 

Quelle est votre vision de l'avenir ?

J'adore vivre ici au Luxembourg en raison de l’incroyable dynamisme et du sentiment de solidarité. La Finance reste un enjeu européen pouvant se résoudre ici - j'en vois de plus en plus la preuve. Avec une sincère conviction commune, nous pouvons rassembler les gens et faire bouger les choses. Mon désir reste de travailler davantage avec les collectivités et d'améliorer, d'élargir, d'expliquer et d'adapter les nouvelles technologies au profit de l'industrie financière, en réduisant les risques de concentration. Cette approche demeure similaire à celle des secteurs en plein essor de la cybersécurité et de la technologie spatiale. Nous partageons déjà les meilleures pratiques et les idées innovantes avec l'ensemble de l'industrie européenne des Fintech. Les meilleures idées viennent de partout - il suffit de les adopter. L'objectif du Luxembourg reste de mener le changement, et pas seulement ici. Il est triste de considérer le secteur des services financiers comme étant susceptible de changement uniquement en réaction à la douleur, s’il y est forcé. Le point de rupture arrive bientôt en Europe, et j'espère voir plus de solidarité et de bras ouverts. Les gens vont chercher le changement, et nous pouvons le conduire.

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