Norbert Niederkofler (Atelier Moessmer Norbert Niederkofler) : Le tissu de la cuisine éthique
Norbert Niederkofler a marqué l’histoire l’an dernier en décrochant 3 étoiles Michelin et l’Étoile Verte, quatre mois seulement après l’ouverture de son nouveau restaurant à Brunico : un record. Il avait déjà obtenu la plus haute distinction rouge en 2017 au restaurant St. Hubertus, au sein de l’hôtel Rosa Alpina, mais cette fois-ci, cela se révèle différent. Reportage à Brunico.
Par Jérôme Bloch
"Apporter les meilleures idées à Brunico tout en mettant en valeur la culture locale"
Le contexte compte
« Chapeau au Michelin ! », s’exclame Norbert Niederkofler en 2017, en obtenant sa troisième étoile avec « betteraves et pommes de terre ». Depuis 1994, il œuvre à l’hôtel Rosa Alpina, peaufinant patiemment son concept éthique. À l’époque de cette triple consécration, il réalise chaque jour un aller-retour d’une heure entre Brunico, où il vit avec sa famille, et San Cassiano. Il découvre alors, à seulement
100 mètres de sa maison de Brunico, une grande usine de loden dénommée « Moessmer ». Ce tissu, fabriqué depuis le Moyen Âge et porté par les paysans du Tyrol, avait connu un essor de popularité au XIXe siècle, quand Moessmer avait conçu un manteau en loden blanc pour l’empereur François-Joseph. Lorsque Paul Oberrauch, propriétaire et président de Moessmer, demande à Niederkofler s’il a une idée pour l’élégante villa située sur leur terrain, Niederkofler répond : « Bien sûr, si vous avez les moyens. » Avançons rapidement jusqu’en 2023 : le restaurant « Atelier Moessmer Norbert Niederkofler » ouvre ses portes en juillet au cœur du site industriel de ce célèbre fabricant de tissus, installé dans une superbe villa ayant longtemps servi de résidence aux cadres de Moessmer. Finis les trajets. Plus de temps perdu.
Cook the Mountain
« Je déteste le mot “durabilité”. Il s’agit plutôt de respecter les gens, les animaux, les agriculteurs et la nature », confie le chef Niederkofler qui laisse beaucoup d’autonomie à ses collaborateurs, mais dans un cadre clair et rigoureux : pas d’huile d’olive, pas d’agrumes, pas de serres, et zéro déchet. Chaque ingrédient provient exclusivement de la région, ce qui fait toute la différence. Un tiers des ingrédients entrant au restaurant est utilisé immédiatement pour le menu, tandis que les deux tiers restants sont conservés pour l’hiver suivant grâce à diverses techniques de conservation et de fermentation. Pendant trois mois, la montagne ne produit rien, rendant la préparation cruciale. « Au printemps, nous passons de l’attente à une véritable frénésie. » Cette philosophie paraît simple, mais sa mise en œuvre s’avère d’une complexité redoutable. Tout d’abord, elle exige une maîtrise approfondie d’un large éventail de techniques pour transformer des ingrédients modestes en créations gastronomiques de classe mondiale : pas de homard, pas de caviar. Elle nécessite également une grande adaptabilité au quotidien. Après trois jours de pluie, par exemple, certaines herbes sauvages deviennent impossibles à récolter. Cela fait partie du jeu et se reflète dans l’approche de Norbert Niederkofler : « Je veux inspirer le monde avec l’étincelle de la cuisine éthique, afin de changer notre manière de manger, collaborer et vivre. »
Du voyage à la prise d’autonomie
« Notre villa est une maison privée, pas un restaurant. Nous l’avons imaginée comme un laboratoire d’idées, où l’on se forme, travaille et innove », explique-t-il. Désormais un peu en recul, Niederkofler se consacre à transmettre son expérience, échanger avec ses invités et autonomiser ceux qui l’entourent : les producteurs locaux, l’économie de Brunico, les universités, ses associés et son équipe. « Je place les jeunes en pole position. La moyenne d’âge de mon équipe est de 26 ans. En général, ils restent deux ou trois ans avant de poursuivre leur chemin vers d’autres destinations d’excellence. » Mauro Siega, son chef exécutif, n’a que 31 ans, mais avec des expériences en Toscane, à Londres, à Venise, en Australie, en France, au Danemark (chez Kadeau et Noma) et au Tyrol, il incarne l’esprit de voyage que partage son patron : « Niederkofler s’est confié à moi : “ Mon père est mort quand j’avais 16 ans. J’avais quatre sœurs et pas d’argent, mais je désirais parcourir le monde. » Il a ainsi travaillé à Londres, Zurich, Milan, New York auprès de David Bouley, où il a appris l’innovation, et à Monaco avec Eckart Witzigmann, son mentor, qui lui a transmis l’amour de la nature. « L’ouverture d’esprit est la clé ». Peu importe où vous vous trouvez, en Scandinavie ou au Pérou, trouvez similitudes et différences. Apportez le meilleur de vous-même tout en enrichissant la culture locale. La quête ne se limite pas à la perfection. Elle est aussi une constante amélioration. En définitive, conclut-il : « Ce qui importe vraiment est de ne pas s’ennuyer ! »
Plats d'accompagnement
Au-delà du restaurant, Niederkofler s’investit profondément dans des initiatives à impact social. En 2015, il cofonde Mo-Food dédiée à la promotion d’une culture alimentaire éthique. Un de ses projets, CARE’s - The Ethical Chef Days, a vu sa participation croître de 50 à 1 200 personnes. « Nous réinitialisons le projet actuellement, comme je le fais toujours », Le chef travaille par principe sur un plan quinquennal, redéfini après trois ans: une méthode simple pour stimuler la créativité et la motivation de son équipe. En 2018, il inaugure AlpiNN, un restaurant durable perché à 2 235 mètres d’altitude, au sommet du Plan de Corones, le plus vaste domaine skiable d’Italie. Situé à côté de Lumen, le “musée de la photographie de montagne”, et à 400 mètres du “Musée de la Montagne Messner Corones”, conçu par Zaha Hadid. « Dans le monde occidental, 50 à 60 % de la nourriture est gaspillée. Nous devrions rémunérer davantage les agriculteurs et utiliser tout ce qu’ils produisent. Pour cela, il est essentiel de travailler en partenariat avec les écoles, les consommateurs et les grandes entreprises afin de développer de nouvelles techniques et de transformer les mentalités », conclut-il.
"Je veux inspirer le monde avec l’étincelle de la cuisine éthique, afin de changer notre manière de manger, collaborer et vivre. "
- Norbert Niederkofler – Le chef éthique
L’expérience
Tout d’abord, vous sonnez à la porte et vous êtes accueilli comme un ami. L’apéritif se savoure sur la terrasse ou dans l’ancien salon de la villa. Le dîner, quant à lui, a pour cadre la véranda pour un petit groupe, dans le salon ou encore dans une cuisine ouverte pensée par Mauro Siega, où trône un feu ouvert. Ce chef est aussi exigeant en cuisine qu’en montagne à six heures du matin à la recherche d’ingrédients, toujours en quête de nouvelles connaissances et techniques pour donner vie à la philosophie “Cook the Mountain”. Avec Niederkofler, Lukas Gerges – directeur du restaurant et chef sommelier – et le reste de l’équipe, ils repoussent les limites des rôles traditionnels. L’assiette suivante peut aussi bien vous être servie par un cuisinier, un sommelier ou un autre membre du personnel, chacun étant aussi compétent que l’autre pour l’essentiel : expliquer. Le double accord mets-vins proposé par Gerges s’avère captivant. Pour presque chaque plat, deux vins sont servis, déclenchant un fascinant jeu d’exploration et de contrastes. À minuit, assis sur la terrasse avec Norbert Niederkofler, je réfléchis à cette expérience unique. Quand je l’interroge sur l’importance de la communication, il me répond : « La communication est essentielle, et pas seulement en cuisine ou en salle. Nous devons expliquer ce que nous réalisons, donner un visage à chaque produit. Si nous voulons que nos projets et nos restaurants soient durables, nous devons communiquer de manière claire afin d’atteindre les bons chiffres. »