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Fedor Holz (champion de Poker & entrepreneur): la gestion des risques tous azimuts

Né à Sarrebruck en 1993, Fedor Holz occupe la 5ème place du classement des meilleurs gains de tous les temps au Poker avec 26,7 millions de dollars. Il a annoncé sa retraite l’an dernier à 23 ans pour “collecter d’autres données et les utiliser”. Interview.

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Bonjour Fedor, de combien de temps disposez-vous?

J’ai le temps.

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Vous adorez le concept japonais appelé “Ikigai”. De quoi s’agit-il?

Haha, vous avez bien préparé l’interview ! En quelques mots, ma compréhension d’Ikigai correspond à trouver son centre ou son bonheur en pratiquant une activité que vous aimez faire, que vous faites bien, où vous pouvez en même temps gagner de l’argent et aider d’autres personnes. J’adore ce concept car il élimine des obstacles que nous rencontrons lorsque nous réalisons que nous ne voulons plus exercer la même activité toute notre vie. Ikigai vous montre ce qui vous manque. Pour moi, cela a été le cas avec le Poker. J’adore ce jeu, j’ai un bon niveau, je gagnais de l’argent, mais clairement, ce jeu n’aide pas les autres et cette dimension me manquait énormément.

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La saison suivant votre “retraite”, en 2017, vous avez totalisé 6,38 millions de dollars en jouant peu de tournois.

C’est un bon chiffre. Je l’aime bien. Les gens ont l’impression que j’ai participé à plus de tournois qu’en réalité car je réalisais de bonnes performances. J’ai fait à peine 6 ou 7 voyages, ce qui à mes yeux s’apparente à presque rien par rapport aux années précédentes. Dans quelques jours, je vais partir un mois complet pour de vraies vacances.

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"Au final, jouer au Poker consiste à réaliser des centaines décisions d’investissements consécutives."

 

A part les gains en tournois ‘live’, les joueurs gagnent-ils beaucoup dans les parties en lignes et au travers des contrats de sponsoring ?

Cela dépend vraiment de la période. Quand j’ai commencé à jouer il y a 7 ans, les tournois gagnaient en importance, mais les gains en ligne constituaient la part belle des revenus. Les joueurs participaient à quelques tournois ‘live’ occasionnels. Aujourd’hui, ces tournois représentent la force principale et rattrapent en tout cas leur retard. Les dotations des tournois en ligne diminuent sans cesse. Du côté du sponsoring, durant les années 2007-2010, les joueurs recevaient des contrats à 7 chiffres et des actions d’entreprises, mais ce n’est plus le cas. Mon nom dispose d’un certain impact sur l’économie du poker et je suis heureux de travailler avec Party Poker car nous essayons de prendre soin des joueurs pour leur permettre de pratiquer un sport à haut niveau et non pas de spéculer sans cesse à court terme.

 

Vous dites souvent que l’argent est à la fois important et pas important. Quel est votre bien le plus précieux ?

J’ai acheté un appartement ici à Vienne. Mon domicile se situe très haut sur ma liste de priorités. Je n’ai pas de voiture ni même le permis de conduire. Le bien suivant doit être ma montre. Je l’ai achetée très tôt dans ma carrière après être passé devant le magasin chaque jour pendant 2 mois en attendant d’atteindre la barre des 100.000$ de gains. Avec le temps – je ne veux pas sonner trop philosophique – j’ai réalisé que ces choses ont en réalité peu de valeur car l’excitation provient surtout d’attentes très élevée d’émotions que vous pensez vivre lorsque vous possèderez ces objets. Ce feeling est agréable – si vous parvenez à atteindre votre objectif – mais il se révèle plus doux que prévu et il se dissipe rapidement. Aujourd’hui, je me fixe des objectifs qui me permettent d’apprécier tout le processus plutôt que de m’exciter en pensant à l’arrivée. Je me soucie de profiter de chaque jour et beaucoup moins de l’argent.

 

Quelle est la part de chance dans le Poker ?

Partout où il y a une incertitude, la chance joue un rôle, mais la question réelle est : « Quelle est la taille de l’échantillon – le nombre de parties- et quelle est la taille de ton avantage (‘edge’ en anglais, ndlr). Si je dispose d’un avantage considérable, un nombre moyen de parties me permet de gagner pratiquement systématiquement. Ces deux facteurs interagissent dans toutes les situations. Les traders qui disposent d’un avantage réduit doivent effectuer des centaines de milliers d’opérations pour être quasi-certains de réaliser un gain. Des approches statistiques permettent de calculer ces éléments. Au Poker, la chance dépend de la taille de votre échantillon et de l’avantage éventuel.

 

 Vous faites souvent référence à un « facteur de certitude »

J’essaie d’appliquer tous les concepts qui me semblent intéressants à tous les aspects du jeu. Ma réussite au Poker dépend sans doute de ma capacité à chercher des similarités et des différences pour au final appliquer des solutions légèrement différemment dans de nouvelles situations. Les joueurs qui ont des approches plus rigides font plus d’erreurs car ils cherchent à résoudre des situations différentes avec des solutions identiques. Je développe de nouvelles stratégies en jouant. Plus je suis sûr de quelque chose, plus j’ai envie de le faire. Je pèse mes décisions. J’attribue un poids à chaque information collectée de la même manière que les experts analysent les données ou construisent de l’intelligence artificielle. Notre cerveau fonctionne également sur ce modèle. Le poids obtenu joue un rôle de « facteur de confiance » et lorsqu’il est très élevé, cela peut s’apparenter à de la certitude.

 

Pouvez-vous me donner un exemple ?

Si je vois que vous transpirez, je mets cette information dans la perspective de votre expérience en Poker, de la taille de l’enjeu pour vous, des réactions que j’ai pu observer et ainsi de suite. Disons que vous êtes un amateur, pas habitué à jouer des sommes si élevées, que je me souviens que quand vous aviez cette main très forte, vous n’avez pas transpiré du tout, alors j’obtiens un facteur de confiance de 9/10 et j’ai la quasi-certitude que votre main est faible, ce qui me permet de changer radicalement ma stratégie ! Une petite information a radicalement changé les données. J’utilise la confiance de la même manière dans tous mes investissements car au final, le poker n’est rien d’autre que des centaines de milliers de décisions d’investissement. Je ne suis pas un spéculateur car je m’emploie à faire les bons choix dans ces petites décisions.

 

Vous n’investissez jamais plus de 1% de votre capital pour vous inscrire à un tournoi, n’est-ce pas ?

C’est ce que je recommande car en tant qu’humain nous sommes beaucoup plus attachés négativement à la défaite que positivement à la victoire. Plus vous augmentez l’enjeu, plus vous créez le besoin d’un avantage plus grand car l’émotion négative joue un rôle croissant. Prenez l’exemple de quelqu’un qui mise tout ce qu’il a : la peur de tout perdre est bien plus forte que l’envie de doubler son capital. N’oubliez jamais que la meilleure stratégie dépend entièrement de votre avantage et de la variance.

 

Comment calculez-vous vos mises pour chaque main ?

Le Critère de Kelly, une équation mathématique assez complexe mais avec un résultat très simple permet de calculer cela. Si nous jouons à pile ou face et que je vous offre un bonus de 5%, l’équation vous dira exactement combien miser à chaque fois, et le résultat est incroyable ! Par exemple, si vous disposez d’un bonus de 10%, je crois que vous devez miser 20% de votre capital la première fois. L’explication tient au fait que la formule s’adapte proportionnellement au volume au fur et à mesure et non pas au nombre d’unités.

 

Dans le même ordre d’idée, les champions font appel à des investisseurs pour payer les frais d’inscriptions de certains tournois.

Oui, il s’agit du même principe. Si les joueurs devaient disposer de 500.000$ pour s’inscrire à certains tournois, ils auraient besoin d’un cash-flow considérable, en dizaines de millions. Les meilleurs joueurs attirent des investisseurs : par exemple, si je vends 50% du montant, nous évaluons le retour sur investissement et cela permet de définir un avantage. Si mon avantage est de 15%, ils me payent 275.000$ au lieu de 250.000$ et obtiennent 50% de mes gains. Le système est très rodé depuis des années et convient à toutes les parties.

 

Je ne savais pas que le business du Poker était tellement sophistiqué !

J’ai travaillé pour une firme de trading pendant 1 mois où j’ai pu réaliser que je sous-estimais mes capacités. Ma plus grande force repose sur ma capacité à rester quasiment déconnecté émotionnellement, ce qui me permet d’analyser tous les facteurs pour prendre une décision. Des exercices existent pour améliorer ce point. Par exemple, dans la mesure où le succès et la réputation restent liés à la performance financière, pour absorber les 80% de pertes habituelles, j’écris toujours les raisons qui ont rendu mon échec logique. Il faut faire cela à chaud ! Cela aide énormément à-pour rester de glace. J’ai réalisé ici 4 investissements qui me convenaient à 100%. Deux n’ont pas encore fonctionné mais je reste très confiant ! La confiance reste le facteur critique. Changer d’avis n’est pas anodin. La capacité à rester fidèle à ses décisions sans regarder le résultat fait la différence. Je n’ai rien contre le fait de changer parfois d’avis, mais l’obsession des résultats et un changement d’avis basé sur cela s’avère souvent préjudiciable.

 

 

Vous êtes actif dans le domaine des Cryptomonnaies.

A mes yeux, investir dans ce domaine correspond à voter pour le futur. Je ne sais pas si Bitcoin sera encore là dans 10 ans mais je reste convaincu que les Cryptomonnaies impacteront la société de manière conséquente. Je crois qu'il est très important pour tout le monde de participer à ce développement. Voilà pourquoi j’investis du temps et de l'argent pour en faire une technologie plus transparente et accessible. Je suis à la fois enthousiaste et effrayé par les nombreux conflits qui surviennent sous l’effet de l’avidité. Pour que les systèmes décentralisés comme Bitcoin fonctionnent, la réputation constitue un élément essentiel.

 

"En tant qu’humain nous sommes beaucoup plus attachés négativement à la défaite que positivement à la victoire. "

 

Pouvez-vous présenter Primed Mind, votre premier grand projet en tant qu’entrepreneur ?

J’ai cherché ce qui manquait. Je deviens plus attentionné et partageur car cela me procure beaucoup de satisfactions. Je me suis demandé ce que je voulais faire pour le reste de ma vie et rien ne s’imposait. J’ai réalisé que je devais réfléchir de manière plus large, dans le sens d’une idéologie. Il y a deux choses que je fais bien : interagir avec les gens et apprendre. J’ai réalisé que les méthodes d’apprentissages classiques sont souvent inadaptées et que la mentalité de croissance ne s’apprend pas à l’école. En réalité, nous n’apprenons jamais à apprendre. Au lieu de résoudre les problèmes, nous nous familiarisons avec les outils. Le Poker m’a appris à travailler avec des solutions pratiques ! C’est là que j’ai identifié une opportunité pour les personnes que je croise et rencontrent des défis dans leur vie quotidienne. Nous proposons une app qui permet aux utilisateurs de bénéficier d’enregistrements audio qui les aident au quotidien. Ce mode de coaching est encore peu connu mais j’y crois beaucoup car je l’utilise personnellement.

 

Où en est le projet ?

L’app a été développée en 5 mois et lancée en mai. Nous avons plus de 60.000 utilisateurs, 30.000 feedbacks et un excellent rating de 4.8 sur 5. Cela dit, nous développons actuellement un total de 5 projets avec l’aide de 2 investisseurs. Primed, dans mon esprit sert de facilitateur pour créer un réseau de personnes talentueuses. Ensuite, des choses se passent !

 

 

Avez-vous rencontré des difficultés comme entrepreneurs ?

Enormément ! Le principal challenge tient à la stabilité. Nous dépendons les uns des autres. Nous créons des dépendances. A mes yeux, cela ne peut fonctionner qu’avec une idéologie de long terme. Je ne suis pas intéressé par des relations limitées dans le temps, car l’investissement et la formation seraient dilapidées. Nous avons tellement d’urgences que nous insistons beaucoup sur l’allocation des ressources et le recrutement de collaborateurs extrêmement talentueux. Comparé au poker, c’est très difficile !

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