Harald Wohlfahrt (Schwarzwaldstube): Les pieds sur terre
Les chefs passés par la cuisine d'Harald Wohlfahrt à Baiersbronn, Tonbach, près de Strasbourg, cumulent aujourd'hui 75 étoiles, mais le Bocuse allemand garde fermement les pieds sur terre, en toute simplicité. Interview.
De combien de temps disposez pour cette interview?
Nous prendrons le temps nécessaire.
J'aimerais commencer par vous donner quelques mots. Vous répondez par un autre mot.
Schwarzwald : Eimat (Mon "chez moi" ndlr)
Le feu: utile pour cuisiner
Bocuse : une grande figure de galion
L'équipe: importante
Etoiles: apporte des visiteurs
Cuisiner: passion
Famille : très importante
Harald Wohlfahrt : il souhaite être authentique
Le nombre d'étoiles cumulées par vous et les chefs que vous avez formés ici, atteint 75. Comment galvanisez-vous ainsi vos disciples?
Je pense que j'ai trouvé ici ma place, ma maison. Je me sens bien et je vis ma passion. Un chef a besoin d'une équipe. Mon rôle consiste à la diriger en m'assurant que l'intégration fonctionne à tous les postes. Je m'adapte à tous les profils, mais une chose est sûre : plus je donne des responsabilités et de la confiance, plus de reçois des performances élevées en retour. Nous appliquons ici une forme de discipline souple où chacun suit des règles précises tout en gardant assez d'espace pour exprimer son talent et sa créativité. L'essentiel, c'est de garder les fils ensemble. Je travaille ici depuis 1978, mon sommelier m'accompagne depuis 25 ans, mon chef pâtissier depuis 20 ans et mon sous-chef depuis 13 ans.
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"La beauté, c'est ce qui plaît"
Harald Wohlfahrt
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Vous revendiquez l'influence de Bocuse, notamment à vos débuts, mais contrairement à lui, vous changez la carte en permanence. Pourquoi?
Paul Bocuse est venu ici plusieurs fois, notamment lors de l'inauguration en 1977 et pour la 3ème étoile en 1992. Je pense que l'expérience que nous proposons à nos visiteurs peut se comparer à un voyage dans le temps. Dans le passé parfois, mais nous essayons surtout de capter le Zeitgeist (l'air du temps, ndlr) et de partager ce qui nous fait vibrer. La grande cuisine française de mes débuts faisait la part belle aux truffes, langoustes, foies gras, caviar, huîtres, poissons nobles, écrevisses... Aujourd'hui, tout ce que la nature nous donne arrive dans la cuisine sur un pied d'égalité avec ces produits nobles. Je m'efforce également d'intégrer toutes les herbes disponibles dans ma cuisine. Pour un pesto par exemple, nous utilisons par exemple la menthe, l'oseille ou le raifort. Nous cuisinons en phase avec notre temps en sollicitant la citronnelle, du coriandre ou du yuzu. La cuisine est devenue beaucoup plus multiculturelle et internationale.
Est-ce que les attentes des clients ont évolué ces dernières années, notamment sous l'influence des programmes culinaires à la télévision?
Vous savez, quand vous venez dans un restaurant trois étoiles, vous vous attendez à vivre une expérience particulière. C'est comme lorsque je me rends dans un stade de football de la Bundesliga, j'anticipe un niveau différent de celui de Baiersbronn. Je paye plus, mais je m'attends à des standards plus élevés. Les personnes qui viennent ici sont très bien informées et ont une idée très précise de ce qu'ils attendent. Notre idéal a toujours été de dépasser cette attente et de voir revenir les gens. Cela fait 46 ans que j'exerce et l'année dernière a été notre meilleure. Ce record risque toutefois d'être battu cette année.
La gastronomie abolit-elle les frontières ou subit-elle les barrières linguistiques et psychologiques?
Si vous venez ici le 21 juin, vous constaterez que nous fêtons la fête nationale luxembourgeoise et que de nombreux ressortissants choisissent de venir ici pour cet événement. Les français font la même chose le 14 juillet. Je trouve ça formidable!
Quels souvenirs gardez-vous du passage des 3 chefs voisins du Luxembourg, Christian Bau, Klaus Erfort et Wolfgang Becker qui cumulent 8 étoiles?
Je pense qu'ils se sont très bien intégrés ici au travers de leurs excellentes réalisations. Christian Bau est resté ici 5 ans et demi, évoluant de jeune chef à sous-chef. Les gens qui envoient leur candidature ici ont en général du talent, sont prêts à travailler dur, ambitieux et volontaires. Ce que j'aime dans notre cuisine, c'est que ces gens veulent avancer dans la vie et trouver leur place parmi les grands. Mieux ils sont intégrés, plus ils donnent de performance. Dans le cas de Christian Bau, une fois numéro 2 ici, il fallait qu'il poursuive sa carrière ailleurs et c'est moi qui lui ai trouvé la place à Nennig, à 1 kilomètre de Remich. Je n'hésite pas à promouvoir mes collaborateurs pour les aider à passer à l'étape du dessus lorsqu'ils le souhaitent.
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" Le succès ? Quand les gens reviennent!"
Harald Wohlfahrt
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Etes-vous propriétaire ou employé?
J'aurais pu négocier une participation dans l'affaire, mais à quoi bon puisqu'il aurait fallu la rendre à la fin de ma carrière, n'étant pas membre de la famille. Je suis employé mais je prends toutes mes décisions librement tout en étant rémunéré à ma juste valeur. J'ai trois enfants qui poursuivent d'autres carrières, mais je peux m'appuyer sur mes collègues pour me concentrer sur mon travail. J'ai ici tout ce que je souhaite.
Faites-vous du consulting pour les entreprises?
Très peu. J'ai beaucoup à faire ici. Je fais les menus. J'embauche moi-même les employés. Le plus important, c'est que l'équipe tienne bien ensemble.
Pouvez-vous nous indiquer un plat "signature" ou un ingrédient qui vous plaît particulièrement pour conclure?
Il y a tant de plats que je ne souhaite pas en sortir un du lot. Côté ingrédients, j'aime l'artichaut, mais mon préféré, c'est le raifort car il a du caractère. Vous ne pouvez pas modifier son goût!