Karl Lagerfeld :
ICONIC
S’il est un homme qui a influencé l’évolution de la mode dans le monde, c’est lui. Au point de devenir aujourd’hui l’incarnation de l’image contrôlée à laquelle beaucoup de ses « fashion
victims » aspirent.
La montée en puissance
La date de naissance de Karl Lagerfeld, à Hambourg, constitue déjà un mystère. La version officielle de sa biographie indique 1938 mais les médias allemands et Alicia Drake, l’auteur du livre « The beautiful Fall » pensent que la réalité est plus proche de 1933. Bénéficiant d’une éducation protégée, sous la houlette d’une mère caustique mais charismatique, le jeune Karl évolue dans un univers rêvé. Il a hâte de quitter le monde des enfants et s’imagine à la cour du roi soleil qu’il deviendra en quelque sorte dans le monde de la mode. Sa mère l’encourage à gagner Paris, où il remporte en 1955 un concours de styliste. Un autre jeune créateur, Yves Saint Laurent lui dispute la vedette en s’arrogeant également une récompense dans une autre catégorie. Pierre Balmain, membre du jury, embauche le jeune Allemand comme assistant. Il rejoint Jean Patou trois ans plus tard au poste de directeur artistique et finit par se mettre à son compte, comme styliste indépendant, au début des années soixante, notamment pour Fendi ou Chloé.
« La mode est éphémère, dangereuse et injuste. »
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Chanel
Lorsqu’il accepte de prendre en main les collections de Chanel, en 1983, la marque est moribonde, connue surtout pour ses parfums. En une collection, il replace Chanel sur les rails du succès et redonne vie à l’esprit de sa fondatrice, Coco, disparue 12 ans plus tôt. Jamais une marque n’avait connu une telle renaissance. La clé du succès : un mélange de sex appeal et de sensationnalisme. Il a capté l’air de son temps et les tendances des médias, notamment leur besoin en histoires frappantes, pour se différencier dans une industrie en pleine explosion. D’autres marques s’en inspireront : Gucci avec Tom Ford, Dior avec John Galliano ou Louis Vuitton avec Marc Jacobs. Il fait du même coup de son égérie, Inès de la Fressange, le premier mannequin à accéder au stade de vedette internationale. Un succès total. Il se paye le luxe de lancer sa propre marque un an plus tard, puis de poursuivre ses collaborations avec
Chloé, Valentino ou Fendi, simultanément. Parallèlement, il ajoute des cordes à son arc en devenant photographe en 1987 et éditeur en 2000 avec la création des éditions 7L.
La marque Lagerfeld
Pour Anna Wintour, la toute puissante rédactrice en chef de Vogue, la popularité mondiale de Karl était inévitable « Il y a tellement plus de médias qui s’intéressent à la mode ». Elle oublie de dire qu’il a été un des moteurs de cette fascination grandissante. Il vit au milieu de milliers de livres et d’accessoires, dans un capharnaüm un peu inattendu pour un tel maniaque de la perfection, mais nécessaire à sa verve créative. Infatigable touche à tout, il travaille sans relâche, mais s’efforce de laisser transparaître une superficialité coquette. La marque « Lagerfeld » avait commencé comme parfum en 1978, et s’éteint en 1997. Elle laisse la place à Lagerfeld Gallery, qui sera revendue en 2005 à Tommy Hilfiger. Entretemps, le génial designer réalise deux nouveaux coups historiques : il signe un retour en 2000 avec 47 kilos en moins, qui lui permet de se glisser dans les vêtements qu’il dessine, passant ainsi physiquement au statut d’icône de la mode. En 2004, il est le premier à accepter de vendre ses produits pour H&M. Les clients font la queue pendant des heures. Roberto Cavalli, Sonia Rykiel et Lanvin suivront ses pas dans ce nouveau mélange des genres.
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« Si je n’étais pas dans la mode, je serais dans la publicité. »
La collection
La mode se réinvente tous les six mois. Un intervalle redoutablement rapproché si l’on considère l’ampleur de la tâche : dessin des tenues, production, essayages, scénarisation. Le défilé de la collection Automne-Hiver 2005-2006 de Chanel constitue un exemple frappant d’une maison en pleine effervescence. Un cadre très graphique constitué de grands disques blancs, une mise en scène intrigante avec l’arrivée de mannequins habillés tout en noir et des tenues finalement révélées dans un feu d’artifice de couleurs. Du grand art. Il résume son style et sa passion pour l’histoire en quelques mots : « La mode est dédiée à aujourd’hui. Vous pouvez prendre une idée du passé, mais si vous la présentez comme à l’époque, personne n’en veut ». Il suffit de chercher sur Google des photos de Walther Rathenau, un industriel assassiné en 1922 pour voir comment le génial Karl a emprunté le style des cols de chemise de l’époque pour créer son propre style. « Si je n’étais pas dans la mode, je serais dans la publicité ». Karl Lagerfeld s’est illustré dans ce domaine, en créant des campagnes pour la mode, du coca-cola, des glaces ou des voitures. Mais la plus étonnante fut sans doute celle consacrée à la sécurité routière, où il est photographié avec un gilet jaune, illustrant son sens de l’humour et de l’autodérision.
Signature
Dans le film « Lagerfeld Confidentiel » qui a été au festival de Berlin, le designer révèle un portrait plus sensible que celui qui est habituellement présenté dans la presse. Cultivé, curieux, passionné et parfois vachard, Karl Lagerfeld évoque son homosexualité sans détour : « Cela n’a jamais été un problème depuis que ma mère m’a dit que c’était comme une couleur de cheveux ». Son ami, Jacques de Bascher, avec qui il revendique une histoire platonique, décède du Sida en 1989. S’il avoue ne pas être fait pour vivre en couple, il entretient des relations intenses avec son entourage. Chacun garde à l’esprit les dernières personnes à avoir été exclues du cercle de confiance. Tant pis si elles travaillaient à son service depuis plusieurs décennies. Il possède des dizaines de costumes, dont certains qu’il n’a jamais mis, des bijoux par milliers, des tonnes de livres, mais également des dizaines d’iPod. Et le double CD qu’il a sorti en 2006 – « Les musiques que j’aime » – est à son image : une sélection très sophistiquée et enthousiasmante de titres plus inconnus les uns que les autres. Le résultat de ses recherches incessantes, notamment chez « Colette », rue du Faubourg Saint Honoré. Pour créer la mode, encore faut-il la suivre, et « capter l’air du temps ».