top of page

Fan de Chet Baker et Cy Twombly, Pierre Gagnaire ne revendique ni Dieu ni Maître et parcourt les cuisines du monde pour assouvir son irrépressible besoin de raconter une histoire singulière. Interview dans ses cuisines de la rue Balzac.

 

Comment avez-vous choisi la carrière de restaurateur ?

Je n’ai pas choisi ce métier mais j’ai vite compris qu’en le prenant d’une certaine façon, je disposais d’un moyen extraordinaire d’aller vers l’autre. L’homme m’a toujours plus intéressé que la fane de carotte. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas d’autre rêve et au final, pas de choix. J’ai repris le restaurant de mon père avant de créer mon propre établissement à Saint-Etienne et d’y obtenir trois étoiles en 1993.  Elles constituent avant tout un magnifique passeport mais ce n’est pas facile de rentabiliser un tel établissement. J’allais perdre mon âme si je ne prenais pas une décision radicale. Je suis donc monté à Paris en 1996 où j’ai loué l’espace où nous sommes aujourd’hui rue Balzac, avec l’aide d’un ami qui m’a prêté l’investissement nécessaire.

« La cuisine ne se mesure pas en terme de tradition ou de modernité. Nous devons juste y lire la tendresse du cuisinier. »

 

Comment gérez-vous votre présence internationale ?

Tout a commencé avec Londres à une époque où beaucoup pensaient que ma machine allait casser sous le poids des horaires, de ma méthode de travail très personnelle et des flux tendus. Je voulais savoir si j’étais capable de relever ce défi. Aujourd’hui, Sketch marche toujours très bien et nous avons une équipe de 80 cuisiniers sur place. Au fil des années, nos développements Internationaux en Europe, en Asie, aux Etats-Unis ou au Moyen-Orient ont permis à notre équipe de consolider un modèle économique pas toujours très rentable tout en assurant une visibilité précieuse à notre marque. Je pars d’ailleurs cet après-midi à Shanghai et à Hong Kong.

 

Quelles sont vos meilleurs souvenirs à ce jour ?

Je chérie la confiance tissée au fil du temps avec mes équipes. Elle s’acquiert d’ailleurs plus difficilement en France qu’à l’étranger. Nous sommes actifs dans de nombreuses adresses autour du monde, donc je dois nécessairement lâcher prise et m’appuyer sur des hommes qui partagent mes valeurs et mon savoir-faire. J’ai beaucoup fonctionné comme un artisan un peu artiste, sans fil conducteur. Or travailler avec les émotions, les sentiments et l’instinct peut apporter des joies mais créer également des risques. Après diverses péripéties, j’ai réussi à atteindre une forte stabilité qui offre la possibilité de travailler paisiblement. Je reste toujours ouvert à des collaborations – comme celles avec Hervé This ou Chilly Gonzales – mais je reste essentiellement porté par le hasard et la volonté de créer des suppléments d’âmes dans mes établissements. Dans 50 ans, je ne rêve pas de voir mon nom glorifié, mais je veille à éviter que ma future transmission ne génère le bordel que j’observe chez ceux qui prophétisent « après moi le déluge ».

Pierre Gagnaire: tendresse, émotions et émulsions

bottom of page