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Reinhold Messner : le rapport au risque d’un rebelle

Dans une autre vie, il a, le premier, conquis l'Everest sans oxygène et atteint les 14 sommets au-dessus de 8000 mètres. Ensuite, il a chassé les records, à travers pôle Nord et pôle Sud.  Il s’est lancé dans la politique, et a créé un musée, réparti sur six sites. Il est devenu conteur d’histoires et gardien de la nature. Interview.

 

Que vous disent les montagnes ?

 

Elles m’aident à évaluer tout mon être, mentalement et physiquement. Elles restent objet d’expérience, sans rien offrir de foncièrement palpable. La seule chose possible consiste à transporter cette expérience avec vous, émotionnellement. Je pense donc que les montagnes doivent demeurer sauvages, sans infrastructure. Ces rochers font que les gens se sentent petits et vulnérables. Cela leur permet d'assumer au maximum leurs responsabilités, de se concentrer, de s'occuper de détails et, en fin de compte, de rester en sécurité. Lorsque vous voyez des entreprises emmener des groupes au sommet de l'Everest avec 100 Sherpas pour construire une "autoroute" avec des cordes fixes, des camps, de l'oxygène, des médecins et, dans certains cas, un guide par grimpeur, vous vous rendez compte que les hommes ne font plus face à leurs responsabilités individuelles : de mauvaises choses peuvent arriver.

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«  Les accidents surviennent quand les alpinistes essaient de mettre leurs performances en équation. »

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Notre société déteste le risque. Comment l’avez-vous abordé au cours de votre carrière ? 

 

Rien de plus simple ! J’en conviens : nous vivons à une époque défavorable à la prise de risque. Au cours des 10 000 dernières années, les êtres humains se sont employés à minimiser les impondérables pour édifier notre civilisation. Les alpinistes agissent à l’inverse : ils tracent leur propre route, défiant leur instinct de conservation. Petit à petit, à millions de petites foulées, ils maîtrisent l'art d'aller là où ils pourraient mourir, sans mourir ! Dépasser le risque, cela s’apprend. Quand j'ai escaladé seul la face nord des Droites, le sentiment de garder le contrôle ne m’a jamais quitté. Autrement, la peur m’aurait tué. Lorsque j'ai gravi l'Everest sans oxygène, j'avais déjà atteint des altitudes similaires auparavant - il ne s'agissait que de 800 mètres de plus. Nous sommes allés là pour une tentative, étape par étape, mais nous envisagions l’échec et le repli. Les accidents surviennent quand les alpinistes essaient de mettre leurs performances en équation. Cela dit, sans la possibilité de la mort, l'alpinisme resterait comparable à l'escalade en salle. Aujourd'hui, 99,99% de la population n’aspire pas à gravir les sommets - une bonne chose, je pense - car une barrière culturelle se dresse : la tension entre le tempérament humain et le caractère des montagnes.

 

Que gardez-vous de votre expérience de député européen, de 1999 à 2004, pour le parti des Verts italiens ?

 

Il faut bien avouer que le Parlement européen ne possédait pas beaucoup de pouvoirs à l'époque. Les pays gardaient le dernier mot.  Depuis, les choses ont bien évolué. En 2002, j'ai pu publier un article sur le comportement des humains face à la montagne - il a été lu par Kofi Annan. Aujourd'hui, je pense que je peux en faire plus, mais davantage en tant que personne connue que comme acteur politique. Le respect pour la classe politique a fondu, en particulier au cours des dix dernières années. J'ai le sentiment que nous commençons tous à comprendre que notre planète manque d’espace pour 8 milliards d'habitants. Les efforts convergent pour tenter de corriger cela, mais tout notre système sort d’un moule difficile à casser. L'Europe pourrait donner l'exemple. En fin de compte, je pense que la technologie jouera un grand rôle et pourrait nous sauver. 

 

Quel est votre héritage ?

 

La volonté de rester responsable de moi-même m’a toujours animé. Je suis né dans une très petite vallée, où régnaient une morale et une éthique très strictes. Je voulais m’en libérer. Au Sud-Tyrol – 500 000 habitants – les conditions économiques difficiles me faisaient apparaître le monde de l'escalade comme inaccessible. J'ai réussi à gagner des invitations pour participer à des expéditions et j'ai appris à accomplir les choses par moi-même. J'ai inventé le style alpin, avec un équipement léger, une infrastructure minimale et une préparation maximale. Avec le recul, ma relation compliquée avec mon père m'a peut-être aidé à développer une capacité à surmonter les barrières se dressant devant moi. L'escalade d'une montagne ne consiste en rien d’autre que le franchissement d’un énorme obstacle. En matière de business, je n'ai jamais recouru à un manager au cours de ma carrière, mais j'ai quand même exploré les pôles Nord et Sud et le désert de Gobi, avant de m’investir en politique et de créer un musée réparti sur six sites différents. Quand on s'approprie pleinement ses actes, des choses positives en découlent. Considérez la nature comme un fait, ni bon ni mauvais ; notre comportement, seul, détermine le résultat de notre confrontation avec elle. Un de mes frères m’a attribué comme devise : "Cela peut être fait".

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