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Rikard Lundgren (Steendier) : Liquidité - Un ami des beaux jours - Partie II

En pleine crise du Covid-19, Rikard Lundgren, PDG de Steendier, approfondit la question des liquidités. Une interview réalisée par Jérôme Bloch.

 

Jerome Bloch : Notre dernière interview a suscité beaucoup d'intérêt. Peut-être parce que nous restons plongés dans une crise à la fois virale et financière. Selon vous, quelles conséquences doit-on en attendre ? Quelles leçons le secteur des fonds d'investissement devra-t-il tirer par rapport à la question du décalage de liquidité ? 

 

Rikard Lundgren : Tout commence et se termine par la promesse faite aux investisseurs concernant leur accès au capital investi dans un fonds. Au cours des dix dernières années de bonne conjoncture, cette promesse a parfois été poussée trop loin. Ces cas deviennent maintenant douloureusement évidents. 

JB : Pourquoi a-t-on trop promis ?

 

RL : Pour attirer un groupe plus large d'investisseurs. Ce concept de marketing repose sur une idée : les investisseurs aimeraient s’entendre assurer que leur capital sera accessible à tout moment. Quand les choses tournent mal, cet engagement apparaît dans toute sa crudité, au moins pour quelques cas malheureux : comme du maquillage sur un cochon. Dans ces cas précis, la liquidité de rachat avait été promise sans discrimination.  Pour d'autres fonds, la crise du rachat semble avoir constitué une surprise. Peut-être doit-on y voir le résultat d'un excès d'optimisme quant au pouvoir prédictif de leurs modèles de risque de liquidité. Peut-être aussi pensaient-ils que les restrictions de rachat prévues dans le prospectus se révéleraient suffisantes. Peu importent les raisons : la liquidité des rachats a fait l'objet de promesses excessives et plusieurs fonds se retrouvent maintenant en difficulté. Dans toute l'Europe, la presse a trouvé trop de fonds où les demandes de rachat ont été reçues en claquant la porte aux investisseurs. Même si ces cas restent très minoritaires, cela ne plaide pas pour la crédibilité du secteur.

 

Steendier Rikard Lundgren.jpg

 

JB : Vous mentionnez que certains de ces cas se seraient produits sciemment. Pouvez-vous donner des exemples ? 

 

RL : Investir dans des actifs impossibles à vendre, sauf après un long délai de conservation, et pourtant garantir aux investisseurs une liquidité quotidienne, c'est-à-dire un accès à leur capital à tout moment, je qualifierais cela de "malhonnête à dessein". La seule façon de pouvoir réellement rendre de l'argent consiste à attirer de nouveaux clients. Vous pouvez alors donner le capital fraîchement investi  à ceux désirant se retirer. C'est ainsi que Ponzi s'est fait un nom. On voit parfois un teneur de marché promettre de faire des marchés avec les parts d'un fonds. Cela peut paraître bien sur le papier, mais en cas de crise, il ne résiste qu'à concurrence des rachats d'une petite partie de l'actif total sous gestion, puis à des offres fortement décotées. Un teneur de marché ne peut pas transformer des actifs non liquides en liquidités de rachat pour les investisseurs. 

 

JB : Quels types d'actifs voyez-vous dans cette catégorie ?

 

RL : Les plus évidents : les infrastructures, le capital-investissement, l'immobilier et certains fonds de prêts. Aucun d'entre eux ne détient d'actifs facilement convertibles en espèces. C'est pourquoi la norme du secteur pour les fonds de capital-investissement et les fonds immobiliers correspond à celle des fonds fermés. Vous savez bien que lorsque vous réalisez un investissement dans ces structures, vous resterez bloqué pour 10 ans, voire plus. Suggérer aux investisseurs qu'ils peuvent obtenir à tout moment les rendements associés aux placements à long terme et aux demandes de rachat procède d’une intention malhonnête. Certains fonds de prêts laissent entendre que les paiements d'intérêts peuvent servir à répondre aux demandes de rachat des investisseurs, mais cela représente du vent, tout au plus. 

 

 

JB : Mais tous les fonds promettant l'accès au capital investi n'entrent pas dans cette catégorie, ou ?

 

RL : Non, en effet. La plupart essaient, en toute bonne foi, de s'assurer de pouvoir fournir les liquidités promises. Ils utilisent souvent des modèles statistiques pour faire du suivi et montrer aux investisseurs qu'ils détiennent un portefeuille pouvant se vendre s’ils désirent récupérer leur argent, et quand ils le veulent. Malheureusement, ces outils analytiques ne font preuve de fiabilité que par beau temps.

 

JB : Pouvez-vous expliquer cela ?

 

RL : Les modèles statistiques tentent de mesurer la profondeur du marché sur lequel les actifs devraient se vendre. Ils partent de l’hypothèse que tant que la détention d'un titre par le fonds ne représente qu'une fraction du volume du marché et que les écarts entre les cours acheteur et vendeur restent assez normaux, la position pourrait se liquider sans problème. Cela s’avère surtout dans des "conditions de marché normales" ! Cette mesure de liquidité tient lieu d’estimation. Il ne s'agit pas d'un test réel du potentiel de vente en visant l'offre dans un environnement tendu. Comme le montre la crise actuelle, les investisseurs manifestent une plus forte propension à demander une grande partie de leurs capitaux lorsque les marchés ne fonctionnent PAS normalement. S'il demeure très important de mesurer en permanence le profil de liquidité du portefeuille, ces calculs perdent beaucoup de pertinence lorsque les détenteurs frappent à la porte dans un contexte de tensions. Afin d'inclure également des scénarios de crise, les concepteurs de modèles financiers ont mis au point des "tests de stress" basés sur des crises précédentes pour essayer de quantifier le potentiel des ventes en cas de nouvel ébranlement.

 

 

JB : Cela ne suffit pas non plus ?

 

RL : Eh bien, oui et non. Cela constitue un outil additionnel important pour couvrir certains des scénarios de crise en dehors des "circonstances normales du marché". Cependant, les tests de stress de ces synopsis n'incluent généralement que des données sur des choses s’étant déjà produites lors d'une crise passée. Ayant vécu et négocié toutes les crises financières depuis 1987, je constate que chacune a introduit de nouveaux éléments inconnus auparavant. Ces données inconnues ne peuvent pas faire l'objet de modèles, puisqu’elles ne se sont pas encore produites. Il n'existe donc pas de données sur lesquelles fonder une simulation de scénario de stress. En incluant toutes les inconnues possibles dans un test de stress, on obtiendrait un résultat non significatif, car il montrerait que l'ensemble du portefeuille pourrait se révéler invendable. Une telle estimation du risque de liquidité serait clairement un résultat absurde.

 

JB : Quelle alternative adopter ?

 

RL : Une façon de procéder consiste à utiliser une modélisation du risque posant la question inverse : "Quels scénarios détruiraient X% de la liquidité de mon portefeuille ?  C'est-à-dire : à quel point mes hypothèses devraient-elles s’hypertrophier pour que le portefeuille ne puisse pas satisfaire au moins X% des rachats des investisseurs ? Il s'agit d'une approche différente de la réflexion sur les canevas possibles. Elle ne fera peut-être pas apprécier l'analyste des risques par le service marketing, mais elle permettra de saisir une plus grande partie du paysage non couverte par les modèles de stress tests plus traditionnels.

 

JB : La discussion actuelle sur la façon de gérer l'éventuelle inadéquation des liquidités d'un fonds constitue un vrai défi. Que peut faire un régulateur lorsqu'une crise survient et qu'elle comporte des inconnues… inconnues?

 

RL : On doit se féliciter que les régulateurs de toute l'Europe s'attaquent depuis un certain temps, et même avant la crise, au problème de la surproduction de liquidités de rachat par rapport aux actifs des fonds. On appelle cela le "mismatch". Nous aurions indéniablement tous souhaité que ce travail aille plus loin avant que l'économie soit frappée. Dans l'état actuel des choses, la gestion de la crise doit s’imposer comme priorité. Par exemple, les fonds pourraient se voir autorisés à modifier certaines des règles fixées dans le prospectus. Cela constitue une solution provisoire, pas idéale pour la confiance à long terme des investisseurs dans les prospectus. Les mesures d'urgence doivent s’agrémenter d’améliorations à long terme aptes à réduire le besoin de dispositions de crise. Il faut y travailler énergiquement, en associant tous les acteurs du marché.

 

JB : En quoi pourraient consister ces améliorations à long terme ?

 

RL : Cette question fondamentale concerne avant tout les régulateurs. Je ne me sens pas qualifié pour y répondre. J'espère que le type de fonds "malhonnête à dessein" disparaîtra par la grâce d’exigences plus strictes et plus détaillées de la part de l’autorité. 

 

JB : Revenons aux fonds honnêtes, mais peut-être trop optimistes. Que peuvent faire les prestataires de services luxembourgeois pour les aider à éviter une inadéquation des liquidités ?

 

RL : Certains des outils actuellement utilisés – je pense au Swing pricing, aux Anti-Dilution Levies ou autres frais de pénalité de rachat – ne possèdent pas, à mon avis, le degré de précision souhaitable, car ils laissent une marge de manœuvre pour les décisions à prendre. De tels jugements nécessitent un conseil d'administration fort et très indépendant, de préférence avec une expérience des crises de marché, pour garantir un traitement juste et équitable des investisseurs et leurs meilleurs intérêts, même en pleine crise. 

 

JB : Alors que pouvons-nous faire à la place ?

 

RL : Comme mentionné précédemment, nous ne pouvons pas prévoir avec exactitude tous les éléments pouvant affecter négativement la liquidité d'un portefeuille, même avec nos méthodes statistiques les plus avancées. La seule partie de la mise en place du fonds à laquelle nous pouvons modifier quelque chose constitue la promesse faite aux investisseurs concernant leur accès au capital investi. Cette promesse doit refléter honnêtement et précisément la liquidité réelle du portefeuille au moment du rachat, même si les marchés éprouvent du stress à ce moment-là. La FCA a suggéré que, dans l'idéal, les clients devraient bénéficier du même accès au capital investi que s'ils détenaient directement le portefeuille. La mise en œuvre de cette recommandation dans un format de fonds de placement collectif ne va pas de soi. Cela dit, une promesse réaliste de liquidité aux investisseurs leur ferait prendre conscience des restrictions pouvant être imposées par les marchés à la disponibilité du capital investi. Cela aurait l’effet positif d’inclure le risque d'illiquidité dans l'évaluation d'un investissement dans un fonds. Bénéficier de l’accès à la liquidité quotidienne tout en obtenant les rendements élevés des actifs à long terme tient de la chimère. Des rendements plus élevés s'accompagnent de risques, notamment la possibilité de n'obtenir qu'un accès différé au capital investi. La promesse de rachat devrait, à mon avis, mettre cela en évidence.

 

 

JB : À quoi ressemblerait une meilleure promesse de remboursement ?

 

RL : Je ne me mets pas à la place d’un concepteur de produits d'investissement, mais le prospectus pourrait inclure une formulation indiquant clairement la possibilité de limitation de la disponibilité du capital investi à une fraction donnée, et stipulant un "temps d'attente" pour le reste du capital pouvant aller jusqu'à X mois ou années. Une telle clarté permettrait, espérons-le, d'éviter les mauvaises surprises. L'illiquidité ferait partie des projections des investisseurs. Cela existe déjà pour les fonds fermés. La crise actuelle pourrait produire cet effet positif que le secteur des fonds propose une nouvelle formulation du prospectus reflétant mieux les risques de liquidité pour les investisseurs. Il existe déjà quelques exemples de fonds ayant prolongé les délais de préavis de rachat afin de disposer de plus de temps pour répondre à la demande de liquidités sans obligation de vendre des actifs à n'importe quel prix. De telles solutions hybrides peuvent fonctionner, jusqu'à un certain point ! S'assurer que les investisseurs, avant de s’engager, reçoivent une information correcte et acceptent le profil de liquidité réel des actifs du fonds apparaît comme la seule façon de fonctionner, indépendamment des fluctuations du marché.

 

JB : Cela ne risque-t-il pas d’entraîner un exode des investisseurs vers les fonds d'actifs les plus rentables ?

 

RL : Je ne le pense pas. Après toutes les crises précédentes, nous avons vu comment les investisseurs se tournent vers des produits présentant le rapport risque/rendement adéquat pour atteindre leurs objectifs. Par exemple, après la crise de la monnaie suédoise, de l'immobilier, des banques et des finances en 1991/1992, les opérateurs se sont tournés vers les actions pour, comme il semblait à l'époque, compenser les pertes d'évaluation qu'ils avaient subies sur leurs positions. Ils n'ont PAS, comme certains l'avaient prévu, hésité à prendre des risques. Le fait d'informer les investisseurs qu'un rendement plus élevé s'accompagne d'un risque de liquidité pourrait même les rendre plus confiants dans la possibilité d'effectuer ce type d'opération dont ils ont tant besoin. Les investisseurs bien informés manifestent une moindre propension à paniquer et à se précipiter directement vers la porte du rachat s'ils savent qu'ils peuvent s'attendre à obtenir le même accès aux liquidités que s'ils détenaient directement le portefeuille. 

 

JB : Comment traduire cela en un traitement juste et équitable des investisseurs ?

 

RL : Je tiens pour acquis que le secteur trouvera des moyens. Moins on laisse la main au coup par coup ou à la subjectivité, moins on donne de place à un traitement potentiellement injuste. L'accès à des liquidités parfois rares devrait s’organiser de manière transparente par le biais de règles figurant dans le prospectus. Je m’attends sans surprise à voir émerger des fonds avec de nouvelles approches, dont la mise en œuvre avant la crise actuelle aurait pu se révéler très bénéfique. Nous apprenons de nos erreurs, ne l'oublions pas.

 

JB : Cette note d'optimisme sur l'avenir arrondit bien les angles, je pense. Merci de nous avoir fait part de vos réflexions et de vos idées.

 

RL : Tout le plaisir reste pour moi !

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