Marseille : Mystifiante
Jérôme Bloch (36oCrossmedia)
Les Marseillais adorent la mauvaise réputation que les Parisiens et les médias aiment leur coller sur le dos. Loin de la contredire, ils s’en amusent et perpétuent une culture basée sur 2.600 ans de rébellion et de rendez-vous manqués avec l’histoire. En 2024, les épreuves de voile des Jeux Olympiques auront lieu dans la ville Phocéenne. Une occasion idéale de se rendre sur place.
Arriver à Marseille
Marseille est une ville verticale : lorsque vous arrivez de l’aéroport ou d’Aix en Provence, intuitivement, vous pensez arrivez par l’ouest de la ville. Ce sont les quartiers Nord. Ne vous trompez pas de sortie : cette zone composée de docks désertés sur des kilomètres et de quartiers insalubres n’est pas fréquentable. Les trafiquants du monde entier s’y affrontent pour contrôler un lieu stratégique, notamment dans le domaine de la drogue. La véritable entrée de Marseille est matérialisée par deux bâtiments majestueux signés par des architectes mondialement reconnus : la tour CMA CGM de Zaha Hadid et la ‘Marseillaise’ par Jean Nouvel. Localisés près du vieux Port, ils constituent l’un des deux points hauts visibles de la mer, l’autre étant la colline de la Basilique de Notre Dame de la Garde, affectueusement appelée la « Bonne Mère » par les autochtones.
2.600 ans d’histoire
Les habitants du Paléolithiques ne s’y sont pas trompés : ils s’installèrent dans la région il y a plus de 60.000 ans. La grotte Cosquer, découverte en 1985 dans la Calanque de Morgiou a d’ailleurs été reconstituée juste à côté du splendide Mucem, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Les deux méritent le détour. En 600 avant Jésus-Christ, des Grecs d’Asie Mineure – la Turquie actuelle – partent de Phocée pour fonder une cité dans la calanque de Lacydon, l’actuel vieux port. Les Phocéens créent ainsi la plus vieille ville de France et s’installent sur l’actuel quartier du Panier qui offre à la fois une élévation naturelle à l’abri du vent, la protection des îles du Frioul et une grande proximité avec l’embouchure du Rhône pour commercer avec les Gaulois. Ils apportent avec eux des techniques de construction, la culture de l’olivier de la vigne. Pytheas, un natif de la ville explora l’Atlantique Nord plusieurs siècle avant sa prise par Jules César. Marseille participe alors à la paix romaine en Méditerranée qui facilite une augmentation des échanges.
Le destin de Fabio Montale
Dans la trilogie de Jean-Claude Izzo, le héros, Fabio Montale incarne un fils d’immigré sensible, policier déchu, passionné de cultures, de jazz et de femmes, dont la vie se trouve marquée par une succession d’occasions manquées. Une véritable métaphore de Marseille. Rattachée à la France en 1487, elle profite des guerres de religion grâce à ses relations Méditerranéennes et navigue à vue à travers des siècles troubles, jusqu’à la venue de Louis XIV sur place en 1660. Symbole de sa reprise en main de la ville, les deux édifices qu’il fait construire à l’entrée du Vieux-Port – le forts Saint-Nicolas et Saint-Jean- sont tournés vers la ville et non vers la mer !
La ville triple alors de surface. Son essor commercial souffre d’une épidémie de peste en 1720, mais encore plus des conséquences de la Révolution Française dont les conflits européens nuisent au port. La prise d’Alger en 1830 et la politique coloniale du pays relancent l’attractivité de la ville, qui passe de 130.000 habitants en 1830 à 550.000 en 1905. Deux zones se créent : populaire au nord et bourgeoise au sud. Mais après la défaite de 1940, Marseille devient le seul port en zone-libre et paie le prix fort infligé par les Allemands. S’en suit un choc migratoire, et étonnement, l’essentiel de son activité portuaire est transférée vers Fos. Aujourd’hui, comme Fabio Montale, la ville combine une relative pauvreté avec une grande richesse culturelle. En regardant la mer, ses habitants ne peuvent s’empêcher de penser – comme le héros de Total Kheops - à son passé souvent douloureux et aux occasions manquées qui auraient pu faire d’elle la New York d’Europe.
«Marseille est une énigme, une maison avec plusieurs portes et fenêtres toujours ouvertes.»
Tahar Ben Jelloun,
La nuit sacrée
Deux églises
Le miracle de Marseille tient à sa capacité à faire cohabiter des habitants en perpétuel mouvement, provenant des quatre coins du monde. Pendant que Notre Dame de la Garde veille sur ses ouailles, la plupart des fidèles se réunissent dans une autre église : le stade vélodrome. Et voir ces supporters unis par une culture commune du ballon rond, par l’amour du maillot rappelle la chanson « Je danse le Mia » d’I AM, un groupe local : « Pas de pacotille
Terre-Mer
Marseille se découvre à pied, en trottinette, en taxi ou en bateau. La voie de la mer vous permettra de contempler le profil le plus envoûtant de la cité phocéenne, entre les îles du Frioul, le vallon des Auffes et son « Epuisette », Les Goudes chez Christian Qui, sans oublier ses Calanques atemporelles. Par la terre, baladez-vous dans le panier, prenez l’apéro au Bar des 13 coins, allez flâner à la Cathédrale La Major au coucher du soleil et dînez à la table d’Augustine ou Place de Lenche. Prenez un verre à l’Hôtel Dieu. Escaladez le Mont de la Bonne Mère le matin et approfondissez votre découverte. Visitez les musées, flânez sur la Canebière, reposez-vous place aux huiles – où un canal se trouvait jusqu’en 1925 –, prenez l’apéro au Bar Julis sur la colline Puget à deux pas du port. Offrez-vous un dîner chez Alexandre Mazzia. Courrez le long de la Corniche au lever du soleil. Perdez-vous. Retrouvez-vous. Allez vous balader à pied dans les Calanques. Noyez-vous dans ce brassage culturel. Tombez amoureux de la ville. Dépassez le mythe. Pardonnez aux Marseillais de vous avoir pris pour un « Fada ». Regrettez d’avoir laissé sa mauvaise réputation vous tenir éloigné pendant tant d’années de cette ville pourtant mythique.